Aujourd’hui, nous sommes réunis pour rendre un dernier hommage à Bernard, un homme dont la vie a été marquée par l’audiovisuel, l’amitié et les voyages. À 69 ans, il a tiré sa révérence, emportant avec lui les souvenirs de mille routes parcourues et de mille sourires partagés avec celles et ceux qu’il a rencontrés — et qui sont, pour la plupart, devenus ses amis aux quatre coins de la France… sans oublier ceux, encore plus éloignés, d’Agadir et d’Oman.
C’est en leur nom que je vous présente cet éloge.
Mais est-ce vraiment la fin de la route pour Bernard ?
Bernard a consacré sa carrière à l’implantation de systèmes audiovisuels. Il savait que le son et l’image ne sont pas seulement techniques : ce sont des vecteurs d’émotion, ce qui fait vibrer les cœurs, ce qui porte les voix et rassemble les gens.
À Lyon, lors de notre visite à la Fête des Lumières, je me revois encore écouter avec bonheur ses commentaires sur les installations sonores et lumineuses que nous découvrions ensemble.
Je me souviens aussi de la fierté qu’il éprouvait en me montrant les photos de l’une de ses dernières réalisations : l’intégration audiovisuelle multimédia de la grande salle de conférence du Palais de Justice de Paris, porte de Clichy.
Bien qu’à la retraite, sa passion pour son métier était toujours bien présente, et le ramenait souvent, avec enthousiasme, au cœur de son ancienne vie professionnelle.
Mais au-delà de cette carrière intense, Bernard vivait une seconde vie, tout aussi passionnée : celle de baroudeur.
Avant même de rencontrer Françoise, son épouse, il parcourait déjà les routes à moto. Cela a plu à Françoise… et ensemble, ils sont partis à plusieurs reprises sur la même moto à travers le Sahara, puis l’Afrique, jusqu’à Dakar.
Certains diront : quelle insouciance. Personnellement, je dirais : quel courage d’avoir réalisé leurs rêves. Et quel bonheur ils ont dû ressentir en les vivant pleinement.
Puis un jour, Kevin est arrivé, suivi de son frère Yann. La pratique de la piste à moto devenant moins facile, Bernard a adopté le 4x4 pour continuer ses aventures… en famille cette fois.
C’était d’autant plus intéressant que l’aventure ne se limitait plus aux grands voyages : le 4x4 permettait aussi le baroud toute l’année, dans les petits chemins creux et boueux de la région parisienne…
Les années passant, l’âge de la retraite est arrivé, et sans doute avec lui le besoin d’un peu plus de confort. Bernard est alors passé au camping-car.
C’est à ce moment-là, il y a quatre ans, que nos routes se sont croisées. Ayant moi-même de nombreuses années d’expérience dans ce mode de voyage, j’espère avoir pu nourrir sa soif de découvertes, d’astuces et de conseils dans ce nouveau monde du camping-car.
Ensemble — ou chacun de notre côté — Bernard a parcouru les routes de l’Europe : du Cap Nord au Sahara Occidental, du Portugal à la Grèce. Mais cela ne lui suffisait pas…
Toujours en quête d’émerveillement, il partait encore plus loin, par avion avec Françoise, à la découverte des paysages d’Asie, d’Afrique australe, d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient, ou encore en croisière dans les terres arctiques du Svalbard.
Vous l’avez compris : Bernard avait toujours un rêve de plus à accomplir, une carte à compléter. Il aimait les paysages immenses, la liberté des grands raids, l’aventure du désert et la magie des bivouacs sous les étoiles.
Pour lui, voyager ne signifiait pas seulement changer de décor. Voyager, c’était aussi aller à la rencontre des autres. Il savait créer des liens et trouver des amis là où il n’y avait encore que des inconnus.
Partir à l’aventure, c’était partir ensemble, ou bien revenir le cœur rempli de nouvelles amitiés.
Mais depuis quelques années, la maladie le tenait. Malgré certains progrès, de nouvelles complications sont apparues il y a quelques mois, rendant une lourde et funeste opération nécessaire.
Et pourtant, dans le même temps, nous préparions un nouveau voyage en Norvège, prévu précisément pour ce mois de juin. Car très courageusement, Bernard ne voulait rien céder à la maladie.
Même s’il savait que la convalescence serait peut-être plus longue que prévue, l’espoir l’animait : « Si ce n’est pas pour cette année, alors ce sera pour plus tard », disait-il.
Puis, deux mois après l’opération, malgré les soins quotidiens, une alimentation devenue difficile, la rééducation et tout le courage dont il a fait preuve… un accident vasculaire est survenu.
Et c’est ce qui nous rassemble aujourd’hui.
L’annonce de son décès a, pour nous tous, été un choc terrible.
Mais imaginons combien ce fut encore plus douloureux pour Françoise, pour Kevin, pour Yann. Quelle angoisse ont-ils dû vivre durant les derniers moments de vie de Bernard, alors que les secours renouvelaient les tentatives de réanimation.
Nous leur devons aujourd’hui d’essayer, de tout cœur, de leur offrir notre soutien le plus chaleureux et le plus sincère.
Oui, nous sommes tristes de son départ. Mais nous savons aussi qu’il a eu la vie qu’il voulait : pleine de rires, de rencontres et de routes infinies.
Il nous laisse en héritage son esprit de liberté, son amour des autres.
Et dans nos cœurs, il restera toujours ce compagnon de voyage, prêt à nous guider vers de nouveaux horizons.
J’aimerais vous raconter une anecdote qui montre une autre facette de Bernard.
Ce n’était pas un grand parleur, mais il avait un sens très profond des responsabilités envers les autres, et un profond respect pour chacun.
Cela s’est passé au Maroc, il y a environ trois ans.
Nous avions décidé de visiter la médina de Meknès, autant dire le cœur de la vieille ville. Bernard ouvrait la route avec son GPS pour rejoindre un parking. Il conduisait le camping-car le moins long, le moins large et le moins haut. Le mien, c’était tout le contraire…
Son GPS l’a conduit par un itinéraire très étroit, longeant d’un côté le mur du palais royal, de l’autre un profond fossé, avec ici et là des guérites de militaires empiétant sur la voie. C’était vraiment limite.
Au bout, il fallait tourner très court à droite pour franchir une porte étroite, en plein cintre outrepassé, percée dans la muraille.
Etant donné les dimensions de mon véhicule cette manœuvre était impossible. Je me voyais déjà refaire le parcours inverse en marche arrière, ou tourner à gauche sans savoir où cela mènerait. Peut-être vers une pire situation.
C’est alors qu’un militaire est arrivé en courant. J’ai cru que ça allait mal tourner. Mais non : il m’a expliqué, très calmement, que je devais tourner à gauche, puis franchir la porte… en marche arrière !
J’ai d’abord cru à une blague, mais non il fallait le faire. C’était très limite… mais c’est passé sans dommages.
Après, nous avons bien ri de cet épisode. Mais pour Bernard, c’est resté un moment marquant, voir traumatisant.
Parce qu’il ouvrait la route, il se sentait responsable de nous avoir mis dans une telle situation. Et plusieurs jours plus tard, il y pensait encore.
Alors, désolé Bernard… mais sache que nous en sourions encore, et que jamais, ô grand jamais, nous ne t’en avons fait le moindre reproche.
Le navigateur Loïck Peyron a dit :
« Le plus beau voyage, c’est celui qu’on n’a pas encore fait. »
Cette pensée résume si bien l’esprit de Bernard. Pour lui, chaque voyage était une promesse, une attente, une rencontre.
Il est parti pour le dernier — celui que nul ne peut vraiment raconter. Mais s’il y a bien une chose que l’on sait, c’est qu’il l’aborde comme tous les autres : avec confiance, avec calme, et avec le cœur grand ouvert.
J’ai commencé cet éloge en m’interrogeant :
« Mais est-ce vraiment la fin de la route ? »
Comme l’a dit un auteur inconnu :
« Ce n’est pas la fin de la route, c’est juste un autre chemin. »
Oui, c’est un autre chemin. Pour lui, pour nous.
Même si nos routes ne se croiseront plus de la même manière, nous savons qu’au détour de nos souvenirs, Bernard sera toujours là.
Bernard continuera
à illuminer nos pas,
à allumer nos moteurs,
et à nous rappeler combien la vie est belle…
quand on la partage .
Jean-Charles Saint Prix le 6 juin 2025